La Chine concentre pas moins d’un quart de la valeur ajoutée manufacturière mondiale, et traite un quart du transport maritime de conteneurs au monde. La crise du Coronavirus, qui a démarré à Wuhan au tournant de l’année 2019/2020, affecte naturellement les approvisionnements de l’ensemble de l’économie mondiale, et en particulier le transport maritime vers l’Europe. Le point sur la situation et les mécanismes à l’œuvre, début mars, et quelques conseils de transitaire aux entreprises exposées.
Les approvisionnements en question
Les approvisionnements des entreprises depuis la Chine sont, depuis un mois, extrêmement perturbés:
- Les mesures de quarantaine prises par le gouvernement chinois en février et les interruptions de travail dans les usines chinoises ont prolongé et aggravé les absences suivant traditionnellement le nouvel an chinois, le 25 janvier. En quelques semaines, “l’usine du monde” s’est retrouvée quasiment à l’arrêt. Les statistiques le reflètent: la Chine a vu ses exportations chuter de 17,2% sur un an sur les deux mois cumulés de janvier-février, tandis que ses importations sont en léger repli (4%).
- Compte-tenu des restrictions de circulation dans le pays, les marchandises n’ont pu être transportées jusqu’aux zones portuaires, et les navires partent de Chine avec un taux de remplissage de 10 à 30%, quand ils partent (cf ci-dessous).
- Les flux e-commerce sont aussi touchés par la suspension des imports de certains opérateurs, comme La Poste.
Les entreprises européennes qui exportent en Chine ont d’abord du faire face à un choc de la demande, sensible en France dans les domaines du luxe, des vins et spiritueux notamment.
C’est maintenant l’offre qui est impactée par la rupture des chaînes d’approvisionnements à l’importation. Même si, depuis quelques années, les entreprises ont cherché à diversifier leurs approvisionnements, rares sont les industries qui ne sourcent pas au moins un composant en Chine. Une fois les stocks épuisés, et faute d’approvisionnement alternatif, c’est la mise au chômage technique qui menace, et pour beaucoup ce n’est qu’une question de semaines. Les secteurs automobile, textile, électronique sont particulièrement vulnérables.
Dernière minute – réquisitions de masques
Si la Commission européenne n’a pas mis en place de nouvelles exigences sanitaires à l’importation de produits chinois suivant la détection de l’épidémie, la France a pris des mesures de réquisition des masques de protection respiratoires, et de restrictions sur les exports.
Le Décret no 2020-190 du 3 mars 2020 nous informe que tous les stocks de masques de protection respiratoire de type FFP2 et de masques anti-projections sont réquisitionnés par l’Etat, afin d’en assurer un accès prioritaire aux professionnels de santé et aux patients dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19, et ce jusqu’au 31 mai 2020.
- Export : il est interdit d’exporter vers un pays tiers ou d’expédier vers un Etat membre de l’UE ces deux catégories de masques pendant la période d’application du décret.
- Import : tous les masques repris au décret en cours de dédouanement, de livraison ou détenus par les entreprises françaises sont réquisitionnés.
Si l’on peut maintenant tabler sur une régression de l’épidémie en Chine, permettant au pays de se remettre lentement au travail depuis la fin février, les effets disruptifs se propagent sur la chaîne logistique internationale, tandis que l’épidémie elle-même s’étend au Moyen-Orient et en Europe.
Comment l’ensemble des transports maritimes est impacté par le Covid-19 :
- Les mesures de quarantaines ont entraîné un blocage des activités portuaires et du chargement/déchargement des conteneurs en Chine. Conséquence: les navires sont bloqués dans les ports faute de personnel et de marchandise. Début mars, les ports de Shenzhen, Ningbo, Qindao et Tianji sont encore affectés. Au contraire, les opérations sur Shanghai, Hong-Kong, Dalian et Fuzhou ont pu reprendre. Les retards accumulés se font cependant encore sentir, et on n’attend pas d’amélioration sensible avant la mi-mars.
Le port de Shanghai représente 100 000 EVP par jour, soit en 10 jours l’équivalant annuel du trafic à Fos-sur-Mer!
- Les compagnies maritimes continuent de procéder à des annulations d’escales sur les navires mères. En février , 45% des escales en Chine ont été annulées ou retardées. Pour mars , on prévoit 27 % d’escales annulées ou reportées compte-tenu de ces “blank sailing“. La conséquence directe est une baisse équivalente des escales en Europe, avec 4 à 5 semaines de décalage. Les lignes vers le Moyen-Orient sont également, impactées, car incluses dans les rotations de navire entre l’Europe et l’Asie. On estime que les capacités de transport sont ainsi réduites à seulement 8% de leurs capacités sur l’Europe en mars (contre 42% en février). Début mars cependant, CMA CGM, 4e armateur au monde, annonçait prévoir de remplir à nouveau la totalité de sa flotte au départ de Chine fin mars, tout en restant vigilant sur les conséquences de l’évolution de l’épidémie de Covid-19 en Europe.
- Au cours des quatre dernières semaines, le trafic de container en partance de Chine a reculé de près de moitié selon al Commission européenne. Les terminaux chinois sont saturés de conteneurs import en instance de livraison, ce qui induit des frais de surestaries supplémentaires pour les conteneurs bloqués dans les ports chinois, sauf avec les armateurs qui ont alloué du “free time” additionnel dans ces circonstances exceptionnelles. Autre effet: la pénurie de conteneurs vides pour les exports depuis l’Europe et dans le reste du monde. Selon l’International chamber of shipping, le coronavirus a retiré du marché plus de 350.000 containers. La situation est particulièrement sensible pour les conteneurs reefer, affectant par exemple les expéditions de fruits d’Amérique latine vers l’Europe.
- Dans un premier temps, l’arrêt des usines chinoises s’était répercutée sur les imports de minerais, de métaux, de charbon, accentuant la baisse saisonnière pour faire plonger les indices de coût des transports maritimes. On s’attend à ce que les prix remontent en flèche une fois que la production sera revenue à des niveaux proches de la normale, afin de rattraper le retard accumulé. Les compagnies annoncent des PSS (“Peak Season Surcharge“) et/ou GRI (“General Rate Increase“) importantes.
En conséquence, les chargeurs doivent anticiper des délais accrus, et vraisemblablement des hausses tarifaires.
Quelles sont les alternatives ?
- Selon les cas, un report sur le transport aérien est possible. Les opérations aériennes avec la Chine étant également affectées, la situation met cependant une pression sur les tarifs. Depuis fin janvier, les compagnies aériennes ont suspendu ou réduit leur desserte de la Chine, puis de l’Italie, et le mouvement fait tâche d’huile. Au-delà des vols cargo, les réductions et annulations des vols passagers ont drastiquement réduit la capacité d’emport de fret, car une grande partie du fret aérien longues distances emprunte les soutes des avions de passagers. Les taux de fret aérien devraient monter en flèche avec la normalisation de la production et des transports aériens.
Il est difficile de prévoir les conséquences à moyen terme, mais elles seront lourdes. La crise du coronavirus pourrait coûter entre 63 et 113 milliards de dollars au secteur en 2020, soit une baisse d’activités de 20% du trafic passager, selon l’Association internationale du transport aérien (IATA). Les conséquences sur l’activité cargo n’ont pas encore été estimées. On craint des faillites en cascade parmi les compagnies les plus fragiles. - Le rail Chine/Europe est totalement stoppé, car les lignes transitent par la Russie qui a fermé ses frontières avec la Chine.
- La route n’est généralement pas une alternative, au vu des distances et des restrictions.
Comment faire face à la situation?
L’évolution de la situation est difficilement prévisible, mais les entreprises importatrices / exportatrices peuvent dès maintenant:
- Anticiper les retards dans l’acheminement des marchandises depuis la Chine.
- Vérifier auprès de vos fournisseurs les dates de préparation des commandes.
- Si les marchandises doivent être transportées par camion entre les provinces, confirmer que les marchandises sont prêtes avant d’établir avec votre transitaire le plan le plus efficace.
- Pour les expéditions les plus urgentes, réserver à l’avance en indiquant la date de disponibilité des marchandises.
- Envisager d’expédier des LCL plutôt que des FCL à court terme.
- Pour les approvisionnements moins urgents, retarder les expéditions et attendre que les conditions de transport s’améliorent.
- Pour les frets urgents et sensibles, la solution aérienne peut être un bon moyen de vous approvisionner.
- A moyen terme, chercher à diversifier ces approvisionnements.